Je rêve souvent d’une vague géante. C’est une montagne d’eau sombre et sourde, un rideau occultant de plusieurs mètres, nomade, qui me tient en respect n’importe où, au bord de la falaise, sur la plage, dans les terres. La vague me menace mais ne s’abat jamais. Elle me fait toujours peur. Neptune semble en colère après moi, j’aurais bien des raisons à lui trouver mais toutes sont irrationnelles. Je ne crains pas l’eau et je sais nager. Pas longtemps, ni loin ni profondément, j’avance comme un animal non marin. Adolescente, j’ai manqué de me noyer. Une lame de fond s’est brisée sur ma tête, je me suis perdue dans un tronçon d’océan comme on se retourne à cent quatre-vingt degrés dans son lit. J’ai entendu le chant des sirènes. La nuit sélectionne mes cauchemars, la vague scélérate est son favori. Elle distille la marée noire dans ma piscine privée et fait gonfler la houle. La mer se démonte de façon méthodique, elle ne s’éparpille pas, elle se concentre sur moi. Moi et mon attitude de fugitive figée qui attend cent sept ans d’être absorbée par le creux de la vague.