Culture II

Il y a quelques jours, j’ai commencé la rédaction de ce billet dans le but de lancer une nouvelle salve culturelle et il s’est passé quelque chose entre temps qui me fait tout réécrire. Vous le savez peut-être, je traîne mes guêtres sur quelques réseaux sociaux bien choisis et Bluesky fait partie de mes habitudes quotidiennes. Comme sur feu Twitter, j’ai vite pris l’habitude de maîtriser mes paramètres conversationnels afin d’y éprouver des sentiments positifs, bien que cela ne soit pas une science exacte. Je lis là-bas des personnes intéressantes et nous avons des échanges qui le sont tout autant. Un sujet que j’aborde peu, ici ou ailleurs, est arrivé jusqu’à moi via le post d’une réflexion de L. Elle a exprimé le fait que trouver l’amour était son ambition dans la vie mais que ce but à atteindre était perçu comme mièvre, que des choses plus consensuelles étaient davantage attendues telles qu’avoir un bon salaire ou faire le tour du monde. Il y a bien des événements qui peuvent nous faire voir l’amour comme secondaire, d’autant qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse quant à la façon de le considérer puisqu’il est toujours question d’expérience personnelle, mais je suis fâchée par le dénigrement qu’il subit. L’amour est protéiforme (romantique, platonique, amical, familial, etc.) et doit être ajusté selon ses convenances et ses limites, sa trouvaille reste un but universel.

Alors forcément, c’est un sujet qui prend une place immense dans la culture. Pourquoi donc le rabaisser ? Pourquoi faire semblant de trouver ça indigne ou sale ? Comprenez-moi bien, on peut être totalement déintéressé·e par une comédie romantique, chacun·e ses goûts, ce qui m’ennuie c’est le mépris. L’explication est assez claire : l’amour, le romantisme, les sentiments sont des concepts attribués aux femmes. Les femmes sont sous-considérées, par conséquent, ce qui leur est associé l’est aussi. C’est une histoire de neuromythe. Le patriarcat nous a convaincu·es que les cerveaux féminins et masculins étaient différents et, à vrai dire, ils le sont. Pourquoi ? Parce qu’ils sont façonnés par l’éducation et les stéréotypes de genre. C’est conjoncturel, autrement dit il n’y a pas de différence fondamentale. Non, les femmes ne sont pas plus émotives parce qu’elles sont des femmes. Non, les hommes ne sont pas plus rationnels parce qu’ils sont des hommes. C’est ridicule mais les clichés persistent et ont forgé notre société actuelle, toutes les strates, très profondes, sont touchées.

Et, donc, la culture. Curieusement, le mouvement romantique a vu s’épanouir un tas d’artistes et écrivains masculins occidentaux entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du siècle suivant : Caspar David Friedrich, Lord Byron, Lamartine, Delacroix, William Blake, Goethe ou encore Schlegel, la révolution industrielle nous a-t-elle matrixé·es ? Bien sûr, c’est une réflexion un peu facile, la misogynie n’est pas aussi récente. Parce qu’il ne s’agit que de cela, misogynie, sexisme, patriarcat. Ainsi, en 2025, dans une relation hétérosexuelle, les femmes recherchent des hommes à leur hauteur, mais ces hommes sont incapables de se sortir d’un carcan qui les enferme tout autant, problème dont ils ne s’emparent pas. Navrée messieurs mais les femmes sont trop occupées à essayer de se sauver elles-mêmes, vous ne devrez pas compter sur elles, soyez indépendants, faites le travail (il vous a été prémâché). Dans la culture contemporaine, les exemples romantiques pullulent. Cependant, il y a un grand tri à faire parce que beaucoup sont traités à travers le male gaze, nous avons aussi été éduqué·es à voir comme romantiques des situations abusives. Au lycée, par le biais de ma professeure d’anglais, j’ai découvert Un tramway nommé Désir d’Elia Kazan, film sorti en 1951 et adapté de la pièce éponyme de Tennessee Williams. Marlon Brando a été une grande révélation pour moi. Quelque temps après, j’ai acheté une immense toile de lui dans le rôle de Stanley Kowalski et elle m’a suivie dans tous mes déménagements. Vingt ans plus tard, elle est toujours accrochée dans ma cage d’escalier. Je ne la vois presque plus, hors contexte c’est une très belle photo et, à vrai dire, je cherche à la remplacer par un portrait de Johnny Castle (je parle de Patrick Swayze dans Dirty Dancing, pas de son homonyme acteur porno). J’ai revu Un tramway nommé Désir après avoir cheminé dans mon féminisme et j’ai été horrifiée. Stanley Kowalski est un putain de salopard, quand j’étais plus jeune je le trouvais charismatique. Le film reste fabuleux mais il aurait été plus juste d’afficher Blanche DuBois / Vivien Leigh sur mon mur.

Marlon Brando alias Stanley Kowalski dans Un tramway nommé Désir d'Elia Kazan (1951)

Aujourd’hui, j’aime toujours regarder, lire et écouter des histoires romantiques mais je suis plus affutée. Peut-être pas autant que je le devrais, vous savez comme il arrive de mettre son cerveau sur pause au risque de partir en combustion spontanée. Avec les histoires d’amour, j’aime les fins heureuses mais je vais vous faire une confession, je préfère les histoires contrariées. Parce que c’est complexe. Au printemps, après deux ans d’attente, j’ai vu la deuxième et dernière saison de 1923, série qui a fonctionné du tonnerre sur moi.

Helen Mirren et Harrison Ford dans 1923

Il existe une série qui s’appelle Yellowstone (disponible sur Paramount+, Netflix et qui a été diffusée à la télé il me semble) qui raconte la vie d’un gentleman farmer du Montana incarné par Kevin Costner. En réalité, gentleman pas tant que ça. Il a un ranch à faire tourner, il lui a été légué par son père, le père de son père, le père du père de son père et ainsi de suite depuis 1883. Il a des enfants qui se déchirent et des ennemis pour nous tenir en haleine. Je n’ai regardé que la première saison, par manque d’intérêt. En revanche, j’ai regardé les deux séries préquelles. D’abord 1883 (mini-série) qui raconte l’arrivée chaotique de la famille Dutton dans le Montana à travers des états pas vraiment unis et hostiles. J’ai adoré mais c’est d’une grande violence. J’ai donc ensuite regardé 1923, avec Helen Mirren et Harrison Ford. Les descendants Dutton peinent déjà à garder ce qui vient d’être construit. Jacob et Cara Dutton gèrent le ranch familial depuis quarante ans. Ils sont arrivés d’Écosse pour venir en aide à leurs neveux, encore enfants, après la mort de leurs parents. Toutefois les lieux s’industrialisent et un horrible promoteur (incarné par Timothy Dalton) veut s’emparer de leurs terres pour développer le tourisme. Après avoir servi dans les tranchées, le plus jeune des enfants Dutton, Spencer, est parti chasser en Afrique (les colonies, tout ça…), et Jacob et Cara, conscient·es de leurs 80 ans, ont besoin qu’il revienne pour assurer leurs arrières. N’oublions pas que nous sommes au far west, les histoires se règlent sans foi ni loi et avec des armes à feu. Et puis comme c’est 1923, pendant que Spencer reçoit un courrier de sa vieille tante, y répond et prend la route du retour, il se passe un temps fou. D’autant qu’en parallèle, Spencer trouve l’amour. Alors tout devient compliqué et c’est ce que j’ai préféré.

D’aucuns pourraient qualifier cette série de mélodrame, y voir des clichés et une intrigue un peu exagérée, mais ce serait terriblement superficiel. C’est une série fascinante qui casse le mythe du rêve américain, il y a donc une dimension politique avant la globalisation, à travers la montée du capitalisme et, surtout, le génocide des Premières Nations. Télérama résume la série assez bien en la qualifiant d’un “drôle d’assemblage entre un western classique, un drame quasi gore, et une sortie d’Out of Africa.” Elle pourrait n’être que politique mais le choix d’y incorporer des histoires d’amour est essentiel car l’amour lui-même est politique. Ici, si plusieurs histoires naissent, se brisent ou sont bien installées, celle que vivent les personnages de Spencer et Alexandra a occupé mon cerveau plusieurs jours après avoir terminé la série.

Julia Schlaepfer et Brandon Sklenar dans 1923

Dans un autre style, j’ai regardé L’amour ouf de Gilles Lellouche alors que je projetais de ne pas le faire au vu des critiques féministes qu’il a rencontrées. Les critiques sont fondées mais j’ai trouvé le film moins pire que ce à quoi je m’attendais. Surtout parce que c’est très bien filmé et que la photographie est vraiment cool. Aussi parce qu’avec un daron comme celui incarné par Alain Chabat, on serait moins fracassées (le César est mérité). Oui mais voilà, il y a trop peu de femmes à l’écran et trop de problèmes liés à cela. C’est l’histoire d’une jeune femme intelligente qui tombe amoureuse d’un mec perdu qu’elle va s’évertuer à sauver alors qu’elle ne devrait même pas lui donner l’heure. Je comprends pourquoi ça fonctionne, c’est un trope maintes fois utilisé et vu comme romantique mais l’est-il vraiment ? Qu’est-ce que Jackie (jouée par Adèle Exarchopoulos) y gagne, dans l’affaire ? Elle est amoureuse, d’accord, mais elle souffre et sert de deuxième mère et de thérapeute pour Clotaire (François Civil). Ce n’est pas libérateur, c’est enfermant. Arrive un moment dans la vie où nous, les femmes, voulons voir autre chose. Dans la vraie vie, si vous êtes Jackie : fuyez. Si vous êtes Clotaire : allez en thérapie avant de tenter quoi que ce soit avec Jackie. Si vous êtes Jeffrey : crevez.

Je terminerai par cette question que Pauline Harmange a posé sur Bluesky il y a deux semaines : « Quelle est votre chanson d’amour (heureux) préférée ? » J’ai voulu répondre mais j’ai d’abord été très embêtée, c’est là que j’ai pris conscience que j’aimais les histoires tristes. Alors j’ai réfléchi un peu et voici ma réponse :

2 réflexions sur “Culture II”

  1. Ça me fait bien rire (jaune) ce mépris pour la romance et l’amour, quant on voit que c’est exactement le manque d’amour qui sert d’excuse aux incels et autres mecs détestables pour être ce qu’ils sont. Il faudrait savoir.

    J’ai adoré 1883 (Elsa et Sam ❤️) et 1923 (un peu moins à cause des multiples et répétées scènes d’agression et de viol pour biiiiiien montrer que le personnage de Timothy Dalton est un salaud, comme si on avait pas compris).

    L’Amour Ouf était une de mes sorties préférées de l’année dernière. Loin de moi l’idée de dire que leur histoire est enviable mais j’étais collée au fond de mon siège de cinéma, complètement époustouflée par la manière dont cette histoire est racontée, par la photographie et la bande son.

    Moi mes chansons d’amour heureux préf c’est Love You To Death de Type O Negative (on a pas fait mieux en romantico gothico sensuel à mon avis), Lovesong de The Cure, et A Victory of Love d’Alphaville.

    1. Au risque d’avoir une répartie de Bisounours, c’est le manque d’amour qui nous mène vers tous les chaos. Mais en ce qui concerne les incels en particulier, ils ne sont plus à une contradiction près.

      J’ai trouvé le personnage de Timothy Dalton assez caricatural, à vrai dire. Il a un côté méchant de théâtre ou de grande fresque à la Autant en emporte le vent. Ça aurait pu être drôle si, comme tu le soulignes, son personnage n’était pas d’une violence inouïe. Je considère ses « activités » comme gratuites dans le scénario. On pouvait effectivement souligner sa cruauté sans en faire étalage de cette façon.

Répondre à Lucide Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut