Slavic resting face

Il se trouve que je suis d’origine polonaise. En fait je trouve le terme plutôt absurde en ce qui me concerne, “d’origine”. Mon matronyme me trahit mais, factuellement, je suis originaire d’un département des Pays de la Loire, je ne parle pas polonais et n’ai jamais baigné dans la culture slave. Encore que la trahison intrinsèque à mon nom de famille est à géométrie variable, seules les personnes avec une ascendance polonaise savent où il prend racine, on me demande souvent si je suis d’origine russe ou ukrainienne. Quand je veux faire un trait d’esprit, je dis que la question de mon interlocuteur dépend du contexte géopolitique.

Je me souviens très bien du jour où j’ai pris connaissance de mes origines. Je devais avoir aux alentours de 7 ans, ma mère m’en a touché quelques mots au détour d’une conversation en sortant de l’école et je lui ai répondu avec toute ma candeur : “Alors c’est pour ça que des fois je parle français bizarrement !”

Sauf que les choses sont vite devenues compliquées à comprendre. Pourquoi personne ne parle polonais ? Pourquoi personne ne m’a appris ? Pourquoi n’est-on jamais allés en Pologne ? Il y a des tabous dans cette famille, c’est quoi cette histoire ? C’est mon grand-père maternel qui est polonais et on ne parle jamais de lui. On ne le fréquente pas, d’ailleurs je ne l’ai jamais rencontré, on me dit “Il n’est pas intéressant”.

J’ai 14 ans quand j’apprends la vérité sur lui. Il n’est pas juste pas intéressant, il est surtout violent. Il maltraite femme et enfants, ma grand-mère essaie de partir mais c’est compliqué, et il faut attendre la majorité du petit dernier, au moment de ma naissance, pour que le divorce soit enfin prononcé. Papy devient paria.

À l’adolescence, je ne saisis pas encore bien tous les enjeux et je me questionne beaucoup sur ces origines. Je ne sais rien de ma famille polonaise, j’apprendrai plus tard, en cherchant un peu, que mes arrières-grands-parents, Antoni et Weronika, étaient de la diaspora qui est venue travailler dans les mines de sel de l’Est de la France à partir des années 1920. Ils ont ensuite bougé jusqu’à un petit village du département de ma naissance où ils sont désormais enterrés, avec d’autres membres de leur communauté. Sur leur tombe, leur nom est francisé, ils s’appellent Antoine et Véronique pour la postérité. Or, ils n’ont jamais appris à parler français, ce qui a creusé le fossé avec les générations futures. Je me suis longtemps demandé s’il fallait que je rencontre mon grand-père, cet inconnu, et puis je ne l’ai finalement jamais fait. Sans regret.

Ce qui me frappe désormais méchamment et me flattait drôlement hier, c’est la surenchère de compliments que j’ai pu recevoir sur mon physique et sa relation supposée avec mes origines quand j’étais plus jeune. Aujourd’hui, ça me ferait dégueuler. Il y avait toujours un lien avec mes cheveux, leur couleur ou ma façon de me coiffer, on me disait que je ressemblais à “une vraie polonaise”, que j’étais « belle comme une fille de l’Est », notamment quand je passais du brun au blond ou quand, comme c’était la mode au début des années 2000, je portais un bandana sur la tête. Inutile de le préciser mais je vais le faire quand même, ces réflexions venaient toujours d’hommes, parfois nettement plus âgés sans que ça ne fasse frémir qui que ce soit. Moi, ce que je crois et qui n’est plus à prouver, c’est qu’il y a une terrible essentialisation de la femme slave. Belle, bonne, blonde et serviable, celle qui plaque tout à l’Est pour épouser les plus gros incels d’Occident. C’est une image d’une perversité inouïe.

Je suis désormais en paix avec tout ça. Les hommes ne cherchent plus à baver sur mon physique, je suis trop vieille pour eux (j’ai 39 ans) et je fuis les gros dégueulasses. J’ai visité Varsovie, c’était cool, j’ai tenté d’apprendre un peu le polonais, ça m’a saoulée, j’ai abandonné l’idée et ça me va très bien. Je suis toujours une fausse blonde et je porte un matronyme polonais, bien que francisé (j’ai gardé le suffixe en -ski au lieu du -ska relatif à mon genre et je m’abstiens de porter la cédille sous mon e), mais on me lâche enfin la grappe. Je n’y vois rien de rassurant pour autant mais je me satisfais de ne pas avoir trop pris conscience des perversités patriarcales durant mes jeunes années.

Si vous ne saviez pas que l’homme ci-dessus était polonais, l’auriez-vous seulement deviné ?

Photo : Varsovie, 2007 (photo personnelle)

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