Moi, c’est Ziggy Stardust

J’ai perdu l’habitude d’écrire pour ne rien dire. Ou bien pour dire plusieurs choses. En fait non, j’ai dévoyé cette habitude avec le micro-blogging. Bon, OK, le mot “dévoyer” est peut-être un peu fort… J’ai suivi le mouvement d’Internet que j’utilise quotidiennement depuis 2002. Il m’arrive souvent de regretter mes posts sur mes réseaux parce que je me trouve trop bavarde. Je me relis après coup et me demande : le monde doit-il savoir ? Était-ce vraiment indispensable ? Bien sûr que non, comme tout ce que je raconte car mon existence même n’est pas indispensable. Ce n’est pas grave, je n’ai pas envie de l’être, enfin peut-être pas, en fait je n’en sais rien. J’ai envie qu’on se souvienne de moi et puis non, je veux qu’on se rappelle de mon prénom mais je rase les murs, je veux contrôler le débit de mes paroles et le volume sonore de ma voix car je me sens stupide dès que j’ouvre la bouche, j’ai l’impression de déposer des petits morceaux de malaise çà et là, y compris à l’écrit. Donc je supprime mes posts de temps en temps avec un petit sentiment de honte. Cette sensation s’amenuise en vieillissant, d’autant que je sais pourquoi je me comporte de cette façon, mais j’attends impatiemment le jour où je n’aurai strictement plus rien à foutre de ce que je peux dire ou faire. N’est-ce pas s’accorder beaucoup d’importance, finalement ? Je ne suis pas indispensable et donc je suis un grain de poussière si je réfléchis à notre galaxie, l’univers, à la théorie de la relativité, c’est une méthode extrême, peut-être, mais je suis comme ça, un caillou est une montagne. Je crois que j’ai en tête un type de personnalité que j’aimerais incarner et qui ne correspond pas du tout à qui je suis vraiment, bien que je ne sache pas qui je suis et ce même si j’ai passé plusieurs années en thérapie. Il ne faut pas me demander de me présenter, ça me met mal à l’aise, je ne sais pas quoi répondre. Les questions ne sont jamais assez précises et je préfère donner des réponses factuelles. J’ai horreur de la question : “Que fais-tu dans la vie ?” Comment ça, qu’est-ce que je fais ? Je ne sais pas, je travaille, je lis, j’écoute de la musique, je jardine, j’écris, je photographie, j’angoisse, je déprime, je me balade, je regarde l’océan, je mange un sandwich chaque midi, je me déconcentre cinquante fois par jour, je vais sur YouTube, je dors mal, je réfléchis, je regarde par la fenêtre, je prends des notes, je vois mes ami·es, je me compare, je pense aux autres, je parle à mon chat, j’achète des disques, je range mes objets selon des ordres personnels, je fais mes corvées, je bois du thé noir, je râle, je joue aux jeux vidéo, je parle fort, comment ça qu’est-ce que je fais dans la vie ? Il me reste quelques points de QI, je comprends bien que ce qu’on sous-entend est : “Quel est ton travail ?” mais dans ce cas, posez la question comme telle. C’est intéressant de voir à quel point le travail, le métier qu’on a choisi ou non, le poste qu’on occupe est dans le top 2 du small talk avec le temps qu’il fait. Mon opinion ? Le concept de travail tel qu’il nous est imposé devrait être aboli. Je ne dis pas ça pour plaisanter, c’est un asservissement. Cependant je ne débattrai pas ni ne développerai mes opinions ici et maintenant, le courage me manque. Il y a quatre ans, j’ai choisi un métier qui me plaît, qui me passionne même, donc il est plus facile d’aborder le sujet que lorsque je passais d’un job alimentaire à un autre et même quand j’ai commencé à mon compte dans un autre domaine super nul à chier. C’est plus facile mais ce n’est pas normal pour moi d’en parler simplement mais bon, je réponds aux questions qu’on me pose, je m’adapte (et j’ai l’impression de ne faire que ça de ma vie, m’adapter, je suis fatiguée, mais je ne veux pas qu’on s’adapte à moi car je ne suis pas indispensable). Cela dit il y a plein d’autres sujets à aborder, on peut parler des étourneaux qui se tiennent sur les grues de chantier avant le crépuscule, on peut échanger des anecdotes musicales cocasses, on peut évoquer nos fleurs préférées et pourquoi, on peut parler de composition photographique ou encore classer les albums de David Bowie par ordre de préférence, ou bien on peut parler de travail mais seulement pour casser du sucre sur le dos des patrons qui nous cassent les couilles. Mon travail est ma passion mais il ne me fait pas vivre. La quête incessante de fric est un non sens qui rend malheureux·se car, oui, bien sûr, l’argent fait le bonheur, c’est la bourgeoisie qui dit l’inverse. C’est une discussion que nous avons eue avec des ami·es pendant le weekend. À partir de sources que j’ai déjà oubliées (pardon), il était établi qu’il fallait 4000 euros mensuels pour vivre confortablement. Avec cette somme on paie les crédits, les factures, la nourriture, les loisirs et on se fait plaisir tout en mettant de l’argent de côté. À partir de 7000 euros mensuels, les gens font n’importe quoi, mènent un train de vie luxueux qui, quand iels sont plus près des 7000 euros que du million, font d’elles et eux les pauvres des riches. Les voilà donc à se plaindre que leur budget est serré car il l’est vraiment depuis leur réalité alternative, en toute déconnexion. Je suis perpétuellement fauchée, tel est mon destin, mais j’ai désormais le confort mental de ne pas subir un job qui me détruit (parce que c’est déjà arrivé). Ça ne veut pas dire que je ne reviendrai jamais au salariat, dans le fond j’aimerais bien un petit truc à mi-temps pour m’assurer un revenu fixe mais j’ai le besoin impérieux que cette activité ne me donne pas envie de m’ouvrir les veines. Oui, c’est intense mais lors de mon dernier emploi salarié j’ai vraiment eu envie de me foutre en l’air. Les choses se confirment avec mon âge qui avance, ce n’était pas juste une phase. Je suis intense et j’ai conscience du ridicule qui en découle. On vient de me diagnostiquer un SAHS (syndrome d’apnées-hypopnées du sommeil) qui ne guérit jamais mais se traite avec une machine à pression positive continue, c’est-à-dire que je dois dormir chaque nuit avec un masque qui m’envoie de l’air dans le nez pour pallier la diminution de mon amplitude respiratoire. Ça me fout les boules, je me trouve trop jeune pour ces conneries mais je me réveille trente fois par heure et le sommeil profond m’a abandonnée. Je suis perpétuellement fatiguée depuis des années, j’ai cru que j’étais née comme ça. Le premier soir où j’ai dû mettre en route la machine, c’est-à-dire la veille du jour où je rédige ces lignes, j’ai tenu cinq minutes avant de faire une crise de panique liée à la claustrophobie ressentie. J’étais sur le dos et j’ai ressenti une forme d’écrasement, moi qui ne supporte pas un simple drap couvrant ma tête. Je ne sais pas comment je vais pouvoir m’habituer à un truc pareil, ça me semble insurmontable et je savais que ce qui est arrivé allait arriver, je ne sais pas qui je suis mais je connais mes réactions par cœur. Je n’aime pas du tout ce qui se passe car je ne contrôle rien et c’est un problème. Alors, s’il vous plaît, dites-moi quel est votre album de David Bowie préféré.

4 réflexions sur “Moi, c’est Ziggy Stardust”

  1. Pas d’album de Bowie préféré parce que je ne connais que par morceaux et de façon très partielle, mais un jour peut être.

    C’est marrant parce que l’autre jour je voulais retrouver des photos et tu avais encore mis un de tes comptes à zéro, ce qui me surprend toujours alors que ça fait 18 piges que je te vois faire ça ou pas loin.
    Je ne m’y fais pas vraiment, mais un jour peut être.

    Est ce que tu as pas un TDA en fait ? Tout les gens que j’aime bien ou presque en sont là donc je me demande, avec ta déconcentration chronique.
    (Moi aussi faudrait que je me fasses diag si ça se trouve, un jour, peut-être.)

    1. Il y a tellement d’albums de Bowie qu’on est autorisé·e à en choisir un préféré quand même, moi par exemple je connais peu ce qu’il a sorti entre Never Let Me Down (1987) et Earthling (1997), je n’ai même pas honte considérant mon attachement au personnage.

      Tu dois parler d’Instagram. En fait j’archive la totalité de mes posts de temps en temps, je ne les supprime pas, c’est parce que j’aime bien prendre le temps de choisir ce que je laisse en ligne ou pas. Donc ça revient quelques jours après. Je pourrais le faire post après post mais en archivant tout j’ai une vision globale, sinon je n’arrive pas à me dépatouiller. Donc oui, peut-être que j’ai un TDA, ce n’est pas impossible, mais où je vis c’est impossible à diagnostiquer et vu que je suis déjà malade mentale, un peu plus ou un peu moins… En tout cas ça n’a jamais sauté aux yeux de tous les psys que j’ai vus, il semblerait qu’on doive faire la démarche seul·e et aller à la grande ville. J’ai déjà la flemme.

  2. Les blogs sont morts, vivent les blogs !

    « et j’ai l’impression de ne faire que ça de ma vie, m’adapter, je suis fatiguée, mais je ne veux pas qu’on s’adapte à moi car je ne suis pas indispensable »

    Ces lignes résonnent fort. Ça doit être si calme d’avancer dans la vie sans se poser toutes ces questions (mais est ce que ça existe seulement les gens qui ne se posent pas de question ???).

    Je ne connais aucun album de David Bowie, désolée 🤔.

    1. Nous avons tou·tes notre propre échelle de calme et de bruit dans le cerveau mais je crois qu’il y a des personnes qui sont plutôt tranquilles avec ça. Pas d’anxiété, un mental relativement paisible, qui n’ont pas les idées et les écholalies qui se superposent les unes sur les autres, pas de cacophonie bouillonnante intérieure, sont dans un silence mesuré perpétuel, c’est une chance. Il ne faut pas avoir de problème ou bien savoir les résoudre sans prendre un temps infini.

      Ne sois pas désolée de ne pas connaître les albums de David Bowie, ça veut dire que tu as un monde entier qui s’ouvre à toi. Enfin si tu le veux, bien sûr, moi je ne force personne !

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